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For a different development policy!

Beitrag vom 22.05.2009

22 mai 2009 "Le Républicain" NIGER

Pourquoi l'Afrique est en train de perdre sa dignité
PAR KURT GERHARDT *

L'Afrique a besoin d'aide, mais pas du genre de celle que l'Occident offre aujourd'hui. L'aide classique au développement a fait du continent un bénéficiaire dépendant de l'aumône, estime l'auteur du SPIEGEL ONLINE Kurt Gerhardt : Il vaudrait beaucoup mieux des prêts que des dons d'argent.

L'aide au développement pour l'Afrique n'a jamais été l'objet de critiques aussi radicales et massives qu'au cours des dernières années - et elles émanent aussi bien de représentants du
« Nord » que de l'Afrique elle-même. Néanmoins, cela n'a pas empêché le ministère allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ) de conclure, dans une de ses brochures que
« l'Afrique n'est pas le continent des catastrophes, des crises et des guerres. L'Afrique montre des preuves de dynamiques de réformes et de croissance stable et, avec ses idées et son potentiel, elle est en train de prendre en main elle-même son développement. »

Le regard sur le développement de l'Afrique subsaharienne est hautement idéologique. Une grande partie de la communauté du développement prend pour acquis l'adage selon lequel « Nous exploitons les pauvres africains et nous leur refusons toutes les opportunités commerciales. Nous devons leur remettre la totalité de leur dette car les prêts leur ont été imposés. Une augmentation significative de l'aide financière au développement est nécessaire, car plus d'argent signifie davantage de développement. »

Cela sonne comme musique aux oreilles des kleptocrates africains. Cela les exonère et leur permet de persister dans leur conduite irresponsable. Les utopistes des contrées du Nord se constituent de facto en fan clubs de ces dirigeants africains qui abusent systématiquement de leur pouvoir et ainsi ils barrent la route aux efforts locaux de développement.

Les mêmes effets sont produits par ceux, nombreux, qui disent que les perspectives de développement de l'Afrique sont détruites par les relations commerciales internationales. Il ne fait aucun doute que les critiques de ces relations sont justifiées. Mais pourquoi le commerce est-il florissant, dans des conditions identiques, dans de nombreux pays en développement hors d'Afrique ? Le fait que cette vérité évidente est éclipsée par l'évocation constante de catastrophes est un indicateur de la qualité du discours sur le développement du Tiers-monde.

Les partenaires commerciaux qui ont le plus de succès parmi les nations pauvres exportent des biens industriels, pas des produits agricoles. Au début, la Chine a proposé sur le marché mondial des objets techniquement simples puis de plus en plus sophistiqués. Pourquoi cela ne marche-t-il pas en Afrique ? Quelqu'un a-t-il jamais vu un fer à repasser, une bicyclette ou une barrette à cheveux avec « Made in Togo » ou « Made in Uganda » imprimé dessus ? Pendant des générations, la communauté internationale a promu la compétence technique et entrepreneuriale parmi les Africains. Où donc a-t-on vu les résultats de ces efforts ?

La main tendue, symbole du continent

Après un demi-siècle d'aide au développement pour l'Afrique, toute la communauté des nations donatrices a maintenu en place un large réseau de toutes sortes d'agences d'aide publiques et privées : gouvernements, associations, organisations religieuses, entreprises, syndicats, un grand nombre de groupes charitables, d'écoles et de sponsors - tous sont dans le business de l'aide à l'Afrique ou, plus précisément, font de leur mieux pour aider comme ils l'entendent. Et l'Afrique, pour sa part, est un récepteur volontaire de leurs largesses, même lorsque celles-ci violent la dignité du continent. En vérité, la main tendue est devenue littéralement le symbole de l'Afrique. Les gens, ici et là, sont si habitués à cet état de choses que son absurdité leur paraît normale.

Mais le cycle de donner et recevoir consolide la dépendance de l'Afrique et empêche son développement. Il ignore l'évidence banale que le développement ne peut être que ce que les gens et les sociétés accomplissent par eux-mêmes. Ce que nous faisons est sans intérêt, tandis que ce qui compte, c'est ce qu'ils font eux, les Africains. Rien ne peut remplacer leurs dynamiques internes, pas même l'aide extérieure la mieux intentionnée. Les dynamiques de développement de l'Afrique sont en mauvais état. Bien sûr, il y a toujours de bons exemples brillants, mais ils ne sont pas typiques du continent. Quiconque cherche à observer un développement dynamique doit regarder vers l'activité débordante des pays émergents de l'Est de l'Asie où l'aide internationale au développement ne joue qu'un petit rôle. Mais quiconque voyage à travers l'Afrique rencontre un tableau très différent, une bonne dose de léthargie et un acharnement à réussir insuffisant. Le développement économique, en particulier, souffre d'un manque de minutie, de planification et de fiabilité. Il pâtit également d'habitudes culturelles très différentes telle l'exigence des clans familiaux africains de partager les succès économiques de leurs membres qui ont le mieux réussi, au lieu de leur permettre de jouir du fruit de leur labeur. Un autre obstacle au développement, et à une pensée et une activité rationnelles, est la croyance dans les esprits, encore profondément ancrée à tous les niveaux de la société. Les explications socioculturelles d'un tel comportement sont intéressantes, mais elles ne promeuvent pas le développement.

Malgré ces obstacles, la seule mesure de la qualité de notre aide au développement est l'étendue de sa réussite à générer et renforcer les dynamiques africaines internes. On prête trop peu d'attention aujourd'hui à cette simple considération fondamentale dans la pratique de l'aide au développement. Au lieu de cela, la performance des nations donatrices est jugée sur la base du quota AOD (Assistance Officielle au Développement), qui est la part du produit national brut d'un pays consacrée à l'aide au développement. Mais cela n'est rien d'autre que se tromper soi-même, car le quota AOD n'a pas grand-chose à voir avec le développement. En fait, il concerne plutôt le contraire du développement.

Le résultat de notre aide est souvent inférieur à zéro

Quand « nous » construisons des routes, des canaux d'irrigation, des puits et des écoles dans des pays pauvres, cela améliore notre quota AOD, mais ce n'est pas forcément bon pour le développement. Si ces réalisations avaient pu être menées à bien grâce aux efforts locaux, c'est-à-dire sans notre aide mais plutôt par un travail intense sur le modèle chinois - et les gouvernements africains ne devraient-ils pas en être capables après des décennies d'apprentissage de leurs ingénieurs et autres spécialistes dans nos universités ? - nous n'avons pas agi en faveur du développement mais nous l'avons empêché en violant le principe de subsidiarité.

Lorsque de telles violations surviennent, le bénéfice de notre aide n'est pas égal à zéro, il est négatif car il a bel et bien fait du mal. On peut dire la même chose des milliers de projets de développement qui ont échoué et qu'on ne peut pas seulement considérer comme nuls car ils sont négatifs. Quiconque applique cette règle à l'aide au développement des dernières décennies et aux réalités de la vie en Afrique ne saurait être surpris de constater que, comme l'affirme
« l'appel de Bonn » (www.bonner-aufruf.eu), nos politiques de développement ont échoué. Nous devons attendre des Africains qu'ils soient capables de générer le progrès économique dont ils sont eux-mêmes demandeurs.

Le salut ne viendra pas de Washington ou de Bruxelles

Faire appel aux donneurs étrangers et à des coopérants chaque fois qu'un problème surgit n'apportera pas le progrès à l'Afrique. Son salut ne viendra pas de Washington, Bruxelles ou Berlin. Il viendra de ses bras, de ses têtes, ou il ne sera pas.

Nous avons largement contribué à ce dilemme. La farce récurrente de la construction de routes n'est qu'un exemple de cette approche erronée du développement de l'Afrique. Une fois que les routes ont été construites, après avoir été financées par les fonds de développement, elles sont habituellement mal entretenues et finissent par se détériorer. A un moment, le gouvernement partenaire étranger ne peut plus supporter la vue de conditions aussi mauvaises, alors il réunit davantage d'argent et construit une autre route en appelant cet effort « réhabilitation », jusqu'à ce que la route, une fois de plus se détériore par manque d'entretien et que commence un nouveau cycle compatissant de réhabilitation.

Par principe, nous ne devrions financer avec l'aide au développement que des infrastructures africaines nouvelles après que nos partenaires sur place aient démontré que les infrastructures édifiées dans le passé sont entretenues et fonctionnent. La réhabilitation ne fait qu'exacerber le sous-développement.

L'Afrique sub-saharienne parvient à peine à faire bénéficier ses populations de ses ressources minières. Elle n'a rien fait pour promouvoir le bien-être de ses citoyens. Au contraire, ces ressources se sont avérées une malédiction pour la majorité des Africains. Les profits énormes servent, dans le meilleur des cas, à remplir les comptes en banque des classes supérieures, et pire, à financer des guerres coûteuses tant en termes de bilan humain qu'environnemental. Selon Transparency International, le président du Gabon producteur de pétrole, Omar Bongo, et les membres de sa famille détiennent trente-neuf propriétés de choix dans les meilleurs sites de Paris et de la Côte d'Azur.

Bien que, au mieux, la relation entre l'argent et le développement soit douteuse, les donateurs sont obsédés par le jeu des chiffres. Le plus connu de ces passe-temps tourne autour de la question de savoir quand le quota AOD atteint l'objectif de 0,7% du PNB établi il y a quarante ans par les pays donateurs qui ne l'ont pourtant jamais pris au sérieux, à l'exception de quelques petits pays. Comme le chiffre a été calculé sur la base de la situation de l'époque, il ne peut pas y avoir de relation plausible avec les besoins d'aujourd'hui. Son seul but est d'augmenter les dépenses.

L'Afrique doit assumer davantage de responsabilités

On marche sur la tête. La question importante n'est pas de savoir quand certains objectifs de financement sont atteints, mais quelles sont les tâches à accomplir. Dire d'emblée que l'aide nécessite davantage d'argent est donc faux. Tout aussi erronée fut la décision prise au sommet du G-8 en 2005 à Gleneagles, en Ecosse, de doubler le montant de l'aide au développement de l'Afrique. Cette politique reste dangereuse pour le développement de l'Afrique.

L'énorme machine de l'aide internationale, faite d'un nombre incalculable d'agences et d'organisations, est trop éloignée de la réalité du terrain. Elle tourne sur son axe et fait le tour du continent africain comme quelque vaisseau spatial plein d'experts besogneux et engagés, constamment en train de rêver de stratégies, de tenir des conférences, de forger des consensus, de publier des études, d'établir des agendas, de faire tourner les chiffres de leurs modèles macro-économiques et de produire des tonnes de papier. Il est préférable de ne pas poser la question de savoir qui lit vraiment ces documents. Ce vaisseau spatial fonctionne si parfaitement qu'il pourrait exister facilement sans l'Afrique. Si nous voulons que l'Afrique s'embarque dans une course au développement plus efficace, celle-ci doit assumer davantage de responsabilités. Tel est le cœur du message de « l'appel de Bonn ». Nous ne sommes plus sans clefs face aux problèmes du développement. La Chine a montré la voie pour sortir de la pauvreté. Elle a progressé par ses propres forces, pas en tendant la main. La main tendue n'est acceptable qu'en cas d'urgence, lorsqu'une aide humanitaire est indispensable.

Pourquoi devrions-nous prendre pour acquis que l'Afrique ne pourrait pas suivre son propre chemin vers le développement de la même manière ? Cela ne signifie pas que nous resterions simplement sur le côté, mais un partage clair de la tâche est nécessaire. La meilleure chose que nous pouvons faire pour l'Afrique est d'améliorer les possibilités d'éducation pour les jeunes. Mais c'est à eux d'en faire quelque chose, de transformer l'éducation en progrès matériel. Et partout où une aide matérielle et financière est nécessaire, en plus de savoir-faire, nous devons observer un principe : pas de cadeau ! Au moment où l'on donne de l'argent gratuitement, les problèmes commencent. Par principe, l'aide au développement ne devrait être distribuée que sous forme de prêts. Cela suppose que tous les gens qui souhaitent progresser par leur travail aient accès aux prêts, et pour réussir cela, le modèle à succès des micro-prêts doit être mis en place et étendu, y compris en utilisant l'aide au développement, afin qu'il soit accessible à l'ensemble des pauvres.

Si l'Afrique suit ce chemin avec confiance en elle-même et l'énergie nécessaire, elle ne parviendra pas seulement à la prospérité, mais elle regagnera également sa dignité.

(Traduction : Hubert Laverne)

* Kurt Gerhardt était journaliste à la radio publique allemande WDR entre 1968 et 2008. De 1983 jusqu'en 1986 il a servi comme directeur du DED (Service des Volontaires Allemands) au Niger. Il est co-fondateur de l'initiative politique « Education Primaire dans le Tiers-Monde » et de l'Association « Makaranta » qui promeuvent l'éducation primaire surtout en Afrique. Il est aussi membre du « Bonner Aufruf » (Appel de Bonn) www.bonner-aufruf.eu qui lutte pour une reforme radicale de l'aide au développement.