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Beitrag vom 11.06.2011

L'Initiative Mondiale pour l'Eradication de la Poliomyélite : un long chemin semé d'embuches.

JJ. Kuss
Médecin spécialiste en Pédiatrie et Santé Publique ; Ancien Conseiller au Programme Elargi de Vaccination à l'OMS, bureau du Niger.

Adresse de l'auteur : Dr Jean-Jacques Kuss 6, impasse des mirabelles F 67113 Blaesheim.

Résumé
L'Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite (IMEP), lancée en 1988, repose sur 2 stratégies : la vaccination de masse par le vaccin polio oral (VPO) et la surveillance des cas de paralysie flasque aiguë (PFA). L'incidence de la maladie a été réduite de 99%, mais l'éradication, initialement prévue pour l'an 2000, n'est toujours pas atteinte en 2010 et 4 pays restent endémiques (Inde, Pakistan, Afghanistan et Nigeria). Les obstacles à l'éradication sont : la difficulté d'atteindre tous les enfants à vacciner, notamment dans les zones d'insécurité ; les imperfections du VPO, d'efficacité irrégulière et génétiquement instable ; les limites de la surveillance, qui ne détecte que les formes paralytiques d'une maladie qui reste le plus souvent asymptomatique. Les reports successifs de l'échéance finale , qui ont considérablement alourdi le coût de l'IMEP, suscitent un débat quant à la réelle faisabilité de l'éradication et à la justification de continuer à financer, dans un contexte économique mondial difficile, une initiative sans impact significatif sur les indicateurs des Objectifs du Millenium pour le Développement (OMD).

Introduction
L'Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite (IMEP) est la plus vaste entreprise lancée à ce jour dans le domaine de la santé publique internationale. Elle est dirigée par l'OMS, l'UNICEF, le Rotary International et les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des Etats-Unis d'Amérique, et financée par des partenaires du secteur public, privé et des banques de développement. Lancée en 1988, elle devait atteindre son but en 2000. Des efforts gigantesques ont été accomplis, et des résultats impressionnants ont été obtenus : l'incidence de la maladie a été réduite de 99%, de 350.000 cas estimés en 1988 à 1606 cas confirmés en 2009. Cependant, l'éradication n'a toujours pas été atteinte en 2010, soit 10 ans après la date initialement prévue ; l'échéance a été régulièrement différée et est actuellement fixée à fin 2013 (4).
Fin 2010, 4 pays restent endémiques (Inde, Pakistan, Afghanistan, Nigeria), 4 autres ont vu se rétablir la circulation du poliovirus sauvage (Angola, République Démocratique du Congo, Soudan, Tchad), 13 autres sont dits « pays d'importation », et se situent surtout en Afrique (Congo, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Ouganda, Sénégal, Sierra Leone), mais aussi en Asie (Népal) et dans la Région Europe de l'OMS (Kazakhstan, Tadjikistan, Turkménistan et Fédération de Russie) (4).

Quels sont les obstacles à l'éradication?
La stratégie d'éradication repose sur 2 grands axes, la vaccination et la surveillance. L'administration du vaccin polio oral (VPO) est effectuée à la fois lors des séances de vaccination de routine du Programme Elargi de Vaccination (PEV) aux enfants de 0 à 1 an et lors de campagnes de masse (activités de vaccination supplémentaires : AVS) aux enfants de 0 à 5 ans ; celles-ci sont réalisées de manière programmée (Journées de Vaccination) ou en réponse à des flambées épidémiques (riposte). Pour juger de l'impact de cette vaccination, et de l'atteinte d'une éventuelle éradication, il est essentiel que chaque nouveau cas soit détecté, ce qui suppose un dispositif de surveillance hautement performant, capable de détecter tous les cas de de paralysie flasque aiguë (PFA) et de les explorer à la recherche du poliovirus sauvage (PVS). Dans la réalité, cette stratégie se heurte à de nombreux obstacles.
1. La difficulté de vacciner tous les enfants
Malgré des progrès réguliers, une fraction non négligeable d'enfants n'est pas vaccinée, que ce soit par le PEV de routine ou par les AVS.
En Afrique par exemple, les estimations OMS-Unicef indiquent qu'en 2008, le PEV de routine, qui cible les enfants de 0 à 1 an couvre en moyenne 72% des enfants par le VPO 3 (3ème dose de vaccin polio oral) (10). Or l'objectif fixé au PEV de routine est d'atteindre non seulement une couverture nationale élevée (au moins 90%), mais également une couverture homogène sur toute l'étendue du territoire des pays (80% dans chaque district), pour éliminer les zones de grande perméabilité à la transmission virale. (11) Cet objectif n'a pas encore pu être atteint dans de nombreux pays africains (10). Ainsi par exemple au Niger, la couverture estimée en 2008 par le VPO 3 est de 64% ; elle était de 55% en 2006, et une enquête de population réalisée à cette époque montrait de grandes disparités régionales, avec notamment une couverture particulièrement faible dans la région de Zinder (33%), région particulièrement menacée de par sa grande proximité avec le foyer endémique du nord Nigeria (10 ; 17).
Les campagnes de vaccination de masse (AVS Polio), qui ciblent les enfants de 0 à 5 ans, sont censées pallier les défaillances du PEV de routine grâce à la stratégie porte à porte (les vaccinateurs visitent chaque ménage). Des efforts considérables ont été accomplis pour améliorer la qualité de ces campagnes, mais atteindre la totalité des enfants s'avère difficile, notamment lorsque les populations sont très dispersées et/ou migrantes sur d'immenses territoires, ou lorsque des phénomènes d'insécurité empêchent le passage des vaccinateurs ; ces phénomènes concernent notamment des zones à haut risque de transmission du poliovirus, en Afrique subsaharienne, en Afghanistan et au Pakistan. Par ailleurs, la répétition des campagnes (plus de 50 au Niger de 1997 à 2009) a généré une certaine lassitude des personnels de santé, déjà surchargés de travail, du fait de la lourdeur de leur organisation, mais aussi la lassitude des populations, peu motivées par la lutte contre une maladie devenue rare et réputée non mortelle, à l'opposé de la rougeole. Certaines fractions de la population vont jusqu'à refuser la vaccination de leurs enfants suite à des rumeurs propagées par certains courants islamistes et insinuant que la vaccination polio serait un stratagème des occidentaux pour rendre les femmes stériles ou leur pour inoculer le virus du Sida ! (7)

2. Les imperfections du vaccin
Pour mener à bien l'éradication, c'est le VPO (Sabin), vaccin vivant atténué, qui a été choisi, de préférence au VPI (Vaccin Polio Inactivé, injectable) en raison de son administration plus facile (orale), de son coût plus faible, et de sa meilleure immunogénicité intestinale. Il a fait preuve de son efficacité puisqu'il a permis d'éradiquer le poliovirus sauvage de type 2, d'éliminer les poliovirus sauvages de types 1 et 3 dans 3 Régions OMS sur 6 et de diminuer de plus de 99% le nombre de cas dans les 3 Régions restantes. (12)
Cependant
-le VPO s'avère d'efficacité faible dans certaines zones, sans que l'on sache exactement pourquoi ; ainsi, dans certaines régions d'Inde, des cas de polio sont survenus chez des enfants ayant reçu plus de 7 doses de VPO (18)

-le VPO peut entraîner des complications (12) :
.poliomyélite paralytique associée au vaccin (PPAV) dont l'incidence est estimée à 4 cas/1 000 000 par an, et survenant aussi bien chez les vaccinés que chez leurs contacts non vaccinés;
.poliomyélite par poliovirus dérivés de souches vaccinales circulants (PVDVc), redevenus virulents ; entre 2000 et 2009, 12 flambées de PVDVc ont été signalées sur 3 continents, avec un total de 480 cas dont 325 pour le seul Nigéria (4 ; 12).
.chez un petit nombre de sujets présentant une hypogammaglobulinémie à expression variable, on s'est aperçu que les virus Sabin se répliquaient pendant des périodes prolongées, entraînant une excrétion chronique de poliovirus dérivés de souches vaccinales (PVDV) ayant une neurovirulence accrue; ces virus sont appelés poliovirus dérivés de souches vaccinales associés à une immunodéficience (PVDVi).

3. Les limites de la surveillance
Basée sur la recherche des cas de PFA, elle est soumise aux mêmes contraintes que la vaccination elle-même, et notamment à la difficulté d'atteindre toute la population du fait de l'éloignement, de problèmes d'insécurité, ou de carences humaines et logistiques. Avec la mise en place de programmes de surveillance active des PFA, les performances se sont globalement améliorées, mais restent insuffisantes dans près d'un quart des pays à risque : fin 2009, sur les 68 pays de plus d'un million d'habitants que comptent les trois dernières régions d'endémie poliomyélitique (Afrique, Méditerranée orientale, Asie du Sud-Est), 19 n'atteignent pas le niveau de performance souhaité (la surveillance est jugée satisfaisante si le pays déclare annuellement au moins 2 cas de PFA non polio pour 100 000 habitants de moins de 15 ans ). (4) Plus gênant, la surveillance basée sur la détection des PFA ne peut identifier que la forme paralytique de la poliomyélite ; or celle-ci représente moins de 1 % des infections à PVS, la maladie restant le plus souvent asymptomatique. Même parfaitement conduite, la surveillance des PFA ne donne qu'une connaissance limitée de la circulation du PVS.

Quelles perspectives ?
Un Comité consultatif sur l'éradication de la poliomyélite émet périodiquement des recommandations sur les actions à mener (13). Un nouveau plan stratégique intitulé « Jusqu'au dernier enfant » a été élaboré pour la période 2010-2012. (5) Tirant les leçons des difficultés survenues ces dernières années, il donne des instructions précises quant aux stratégies à mener en fonction des spécificités géographiques et épidémiologiques. Un nouveau vaccin oral bivalent (VPOb) est utilisé pour les campagnes de masse en 2010 et pourrait s'avérer plus efficace que les vaccins trivalents et monovalents utilisés jusqu'alors. Des études en cours laissent entrevoir des possibilités de réduire le coût du VPI et son utilisation plus large dans l'IMEP. (8)
Mais le problème crucial reste celui du financement. En effet, les reports successifs de la date prévue de l'éradication ont considérablement alourdi le coût de l'IMEP : en 1988, le coût total avait été estimé à 1 Milliard de Dollars US ; en 2010, ce sont plus de 7 Milliards qui ont été engagés dans cette entreprise (14). Le budget qui permettrait de mener à bien le plan stratégique 2010-2012 n'est pas assuré : fin 2010, il reste 800 millions de Dollars US à trouver. (4) Des analyses économiques plaident pourtant en faveur de l'éradication, qui serait moins coûteuse sur le long terme que le seul contrôle de la maladie par la vaccination de routine (16). Mais on observe une lassitude, voire une réticence de la part de certains donateurs, échaudés par les reports répétés de la date espérée de l'éradication. De plus, des experts de haut niveau mettent en doute la faisabilité même de l'éradication par le VPO (1, 3,15). D'autres s'interrogent sur la rationalité, voire le caractère éthique de l'IMEP : dans un contexte de ressources limitées et globalement insuffisantes pour le secteur de la santé dans les pays en développement, faut-il continuer à financer aussi massivement une initiative qui n'a que peu d'impact sur la mortalité infantile, alors que des interventions simples, peu coûteuses et efficaces dans la lutte contre la mortalité maternelle et infantile ne peuvent être réalisées par faute de moyens financiers ? (2) Le contexte international n'est pas favorable au financement de l'IMEP : l'aide au développement, déjà insuffisante, risque encore de diminuer du fait de la crise économique mondiale. Par ailleurs, l'échéance fixée pour l'atteinte des OMD approche (2015), et, concernant les objectifs santé (réduction de la mortalité maternelle et infantile et lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose), les évaluations récentes montrent que les cibles ne seront pas atteintes sans un effort financier soutenu. (6) Il est donc probable, au vu des engagements des grands bailleurs à l'issue du sommet sur les OMD tenu en septembre 2010, que les ressources iront prioritairement à des actions ayant un impact direct et significatif sur les indicateurs retenus pour mesurer les progrès en direction des OMD ; or aucun de ces indicateurs ne concerne la poliomyélite. (9)

Conclusion :
Après l'éradication réussie de la variole, l'espoir était grand de pouvoir réaliser la même performance pour éliminer la poliomyélite. Mais des obstacles non prévus ont obligé à plusieurs reprises les responsables de l'IMEP à retarder l'échéance de l'éradication, alourdissant de ce fait son coût, et générant des doutes sur sa faisabilité. En 2010, l'IMEP est à un moment crucial : si les ressources nécessaires sont mobilisées, le plan stratégique 2010-2012 pourra être mené à bien et l'éradication peut-être atteinte; dans le cas contraire, l'avenir de l'IMEP sera compromis. Cette dernière éventualité ne serait cependant pas synonyme d'échec, si l'on arrive à préserver les résultats considérables obtenus par cette initiative, notamment par un effort soutenu en faveur de la vaccination de routine, qui, bien conduite et correctement financée peut atteindre la grande majorité des enfants de cette planète.

Références
1. Arita I, Nakane M, Fenner F. Is polio eradication realistic? Science, 2006; 312: 852-854.
2. Caplan AL. Is disease eradication ethical? The Lancet, 2009; 373 ( 9682) : 2192 - 2193.
3. Ehrenfeld E, Modlin J, Chumakov K. Future of polio vaccines. Expert Rev Vaccines,2009; 8(7): 899-905.
4. Global Polio Eradication Initiative : http://www.polioeradication.org
5. Initiative Mondiale pour l'Eradication de la Poliomyélite. Plan stratégique 2010-2012. Organisation mondiale de la Santé, Genève, 2010.
6. Kaddar M. A mi-parcours des Objectifs du millénaire pour le développement, où en sommes-nous avec les objectifs sur la santé ? Cahiers Santé,2009 ; 19 (3) : 111-119.
7. Ministère de la Santé du Niger, 2009.
8. Mohammed AJ, AlAwaidy S, Bawikar S et al. Fractional Doses of Inactivated Poliovirus Vaccine in Oman. N Engl J Med, 2010 ; 362 : 2351-9.
9. Objectifs du Millénaire pour le Développement : Rapport 2010 ; Nations Unies, New York 2010. http://www.un.org/fr/millenniumgoals
10. OMS. http://apps.who.int/immunization_monitoring
11. OMS. http://www.who.int/vaccines-documents/DocsPDF06/844.pdf
12. OMS. Vaccination et vaccins antipoliomyélitiques au cours de la période précédant l'éradication. Relevé épidémiologique hebdomadaire, 2010 ; 85 : 213-228.
13. OMS. Conclusions et recommandations du Comité consultatif sur l'Eradication de la Poliomyélite. Relevé épidémiologique hebdomadaire, 2010 ; 85 : 1-12.
14. Pirio GA, Kaufmann J. Polio Eradication is just over the horizon. Journal of Health Communication, 2010; 15:66-83.
15. Roberts L. Polio eradication: is it time to give up? Science,2006 ; 312: 832-835.
16. Thompson KM, Tebbens RJ. Eradication versus control for poliomyelitis: an economic analysis. Lancet, 2007; 369(9570):1363-71.
17. UNICEF. http://www.childinfo.org/files/MICS3_Niger_FinalReport_2006.pdf
18. Wassilak S, Orenstein W. Challenges faced by the global polio eradication initiative. Expert Rev Vaccines, 2010; 9(5): 447-449.