Beitrag vom 11.08.2020
LE MONDE AFRIQUE
L’assassinat des humanitaires au Niger, révélateur de la menace djihadiste
L’attaque qui a fait huit morts, dimanche, dans la région de Kouré, montre notamment que les instances chargées de l’évaluation des risques dans la région ont « une sacrée distance de retard ».
Par Jean-Philippe Rémy
Dimanche matin, 9 août, en fin de matinée, sept employés de l’organisation humanitaire française Acted au Niger, qui avaient toutes les raisons de penser qu’en se conformant aux règles de sécurité et aux protocoles en vigueur, ils pouvaient sans crainte s’autoriser une petite sortie à moins de 100 kilomètres de Niamey pour admirer des girafes, ont été tués, ainsi que leur guide. Par qui ? On ne peut pas encore l’affirmer avec certitude. Mais avant de savoir quel groupe djihadiste revendiquera, ou non, leur exécution dans la réserve de Kouré, il est certain que l’événement fait office de révélateur.
Comme l’indique une bonne source de la région, les instances chargées de l’évaluation des risques de déplacement au Niger ont « une sacrée distance de retard ». Qu’avaient à redouter les six Français du groupe ? De façon hypothétique, d’être enlevés, comme cela s’est déjà produit dans le passé dans le pays et dans les Etats voisins du Sahel. En conséquence, les excursions dans la réserve de Kouré ne pouvaient se dérouler qu’entre 10 heures et 13 heures, afin qu’en cas de problème, les forces conjuguées du Mali et de la France puissent avoir le temps de rattraper les ravisseurs avant la tombée de la nuit.
Cela ne s’est pas passé ainsi. Le groupe qui se trouvait dans la voiture d’Acted a peut-être été victime d’une rencontre imprévue avec un groupe de djihadistes. Alternativement, les tueurs pourraient avoir décidé de commettre un massacre en forme de message, à défaut de pouvoir enlever des otages et les garder en vie. Dans tous les cas, penser qu’on pouvait, raisonnablement, aller se promener aux alentours de la capitale était erroné. Le péril djihadiste est plus sérieux au Niger qu’il y paraît.
« Un mélange de consentement de la population et de violence »
La leçon est d’autant plus cruelle qu’elle reflète ce que vit une partie de plus en plus importante du pays, presque au quotidien. Des vidéos d’égorgements, d’assassinats ciblés ou de victoires diverses sur les forces armées servent la dialectique des djihadistes au Niger. D’un côté : ayez toutes les raisons de nous craindre. De l’autre : nous sommes capables de mettre en place une alternative à l’Etat.
A ce jeu, les forces de l’organisation Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS), dont l’émir est Adnane Abou Walid Al-Sahraoui (Abou Walid dans le langage courant), tout comme, dans une moindre mesure, leurs rivaux du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), dont le chef est Iyad Ag Ghali, jouent bien. Ils gagnent du terrain sans en occuper aucun, par une combinaison toujours gagnante de peur et de persuasion.
Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel, enseignant-chercheur à la Brussels School of International Studies (université du Kent) et auteur de rapports sur la situation sécuritaire dans la région, dont l’un, datant de 2017, s’intitulait « Pourquoi le Niger s’en sort mieux que le Mali », constate la dégradation de la situation et résume à présent : « Les djihadistes multiplient des incursions, prélèvent la zakât[aumône légale, en fait un impôt]. Avec le temps, ils ont étendu leur maillage du territoire sur la base d’un mélange de consentement de la population et de violence. Ils liquident les professeurs, les fonctionnaires, les marabouts. »
Un rapport de l’International Crisis Group (ICG), « Court-circuiter l’Etat islamique dans la région de Tillabéri, au Niger », cite un chef de tribu de la zone frontalière qui explique qu’il n’a pas beaucoup le choix : « Lorsque les hommes d’Abou Walid passent par notre région, nous n’alertons pas les forces de sécurité pour deux raisons. Premièrement, nous pensons que l’armée n’agira pas. Deuxièmement, nous avons peur. Ces bandits nous tueront s’ils découvrent que nous les avons dénoncés. »
Les nombreuses fragilités des forces de sécurité
Les forces de sécurité du Niger bénéficiaient pourtant, depuis l’apparition du phénomène djihadiste dans la région Sahel-Sahara au début des années 2000, d’une réputation flatteuse, surtout auprès des partenaires occidentaux désespérément à la recherche d’alliés. L’armée nigérienne est créditée, entre autres, d’avoir contenu la poussée de Boko Haram à une extrémité du pays, et celle d’autres groupes dans la région des trois frontières, aux confins du Mali et du Burkina Faso.
Cette apparente maîtrise de la situation dissimulait de nombreuses fragilités, certaines dangereuses. Un trafic de cocaïne avec des connexions haut placées, sur lequel il était convenu de fermer les yeux ; des exactions commises par l’armée ; un niveau de corruption alarmant. Et, enfin, des faiblesses purement militaires. Après l’attaque d’une patrouille en 2017, au cours de laquelle des soldats américains avaient été tués à Tongo Tongo près de la zone frontalière du Mali, un dispositif d’alliance avec des milices à base ethnique côté malien avait permis, en théorie, de « nettoyer » cette région et, au-delà, vers Ménaka au Mali, de présence djihadiste.
Le calcul s’était révélé catastrophique, le recours aux milices maliennes enflammant les tensions sur une logique ethnique et provoquant des massacres. Il a fallu interrompre l’expérience. Dans la foulée, l’EIGS d’Abou Walid a pu organiser des attaques à grande échelle de camps de l’armée nigérienne.
Les images de djihadistes abattant en riant les soldats en fuite ont marqué les esprits. Un peu plus tard, les révélations sur les scandales de surfacturations de matériel militaire acquis grâce à l’appui de divers partenaires du pays, dont les Etats-Unis, ont dévoilé une autre facette du problème : la fragilité de l’Etat central.
Alors que le Niger tente de se doter de moyens aériens, des détournements ont affecté un tiers (par des surfacturations notamment) du milliard de dollars consacrés aux dépenses militaires nigériennes entre 2011 et 2019, comme l’ont calculé les enquêteurs du réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Issoufou Katambé, le ministre de la défense, a ainsi résumé le sentiment général : « Des soldats se font tuer sur le front alors que les hommes d’affaires et leurs complices tapis au sein du ministère se sucrent. »
Jean-Philippe Rémy(Johannesburg, correspondant régional)